La loi Travail : préambule à une nouvelle administration des licenciements collectifs
L’actualité du droit du travail, et sociale est très fournie en cette rentrée.
L’objet premier de la réforme du code du travail, mis en avant par ses instigateurs, repose sur une « simplification » du marché du travail par de nombreux amendements dans le Code du travail. La simplification vise divers domaines : les conseils de prud’hommes, les indemnités de rupture conventionnelle, la fusion des instances représentatives du personnel et bien plus encore.
Le licenciement économique, son fonctionnement et sa logique fait aussi l’objet d’une remise en cause par le législateur.
A côté de cela, les employeurs pourront aussi rompre collectivement les contrats de travail avec leurs salariés et ce, à l’amiable à travers un nouveau mode de rupture des contrats de travail, à savoir la rupture conventionnelle collective.
Au-delà de cette simplification procédurale, ce sont véritablement les mœurs en entreprise qui changeront dans la foulée de cette loi. L’utilisation, par l’employeur, de telles procédures, aidera à une meilleure gestion des effectifs dans l’entreprise.
Tout repose sur des détails, des modifications minimes qui ont leur importance. Tout cela s’inscrit dans la finalité que prône cette réforme : favoriser une plus grande facilité de licenciement dans les entreprises, tout en mettant en place des indemnités longues et importantes et une protection sociale pour les salariés licenciés. C’est ce que l’on nomme la flexi sécurité, promu par l’actuel gouvernement.
Quels sont donc les modifications prévues ? Quelles conséquences pour les salariés ? Comment les employeurs comptent-ils utiliser cela ?
I) Une nouvelle gestion des licenciements
A) Les nouveautés en matière de licenciement économique : Le périmètre d’appréciation de la cause économique
La procédure de licenciement économique sera modifiée et ce, surtout en matière de procédure.
Lors d’un licenciement économique, comme lorsqu’il œuvre à son obligation de reclassement, l’employeur a pour obligation d’apprécier la cause économique du licenciement.
L’ordonnance ne semble pas tout modifier. En effet, le système semble ne pas changer : lorsqu’une entreprise n’appartient pas à un groupe, l’employeur devra apprécier uniquement au niveau de l’entreprise les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité.
La réforme intègre en vérité dans le Code du travail les solutions posées par jurisprudence (Cass. Soc, 16 mars 2011, n°09-43293 et Cass. Soc, 26 juin 2012, n°11-13736).
En revanche, l’appréciation des difficultés économiques pour les entreprises qui appartiennent à un groupe international est profondément modifiée.
Avant la réforme, la réalité de la cause économique pour licencier était appréciée au niveau du groupe ou du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise. Les sociétés ou entreprises situées sur un territoire national ou le groupe est implanté n’étaient pas pris en compte.
Par exemple, un groupe qui a une activité florissante et est en bonne santé financière sera obligé d’aider son entreprise française. Elle devra faire cela et ce, même si ses difficultés sont très importantes et que les chances de redressement de sa filiale française sont minimes.
L’impact de la réforme est important : le périmètre d’appréciation de la cause économique de licenciement sera restreint.
La réforme prévoit de fixer au niveau national le périmètre d’appréciation du motif économique, lorsque le licenciement est prononcé par une entreprise appartenant à un groupe de dimension internationale.
Pour évaluer les difficultés économiques d’une multinationale, cela sera dorénavant apprécier au niveau national et ce, même si l’entreprise à d’autres sites implantés à l’étranger.
Donc, les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécieront au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf cas de fraude (nouvel article L.1233-3 du Code du travail)
L’appréciation du motif économique sera donc le secteur d’activité commun aux entreprises du même groupe installées sur le territoire français.
Les entreprises du même groupe installées au niveau européen ou international ne seront pas prises en compte en revanche dans l’appréciation des difficultés économiques.
Par exemple, une entreprise qui appartient à un groupe international pourra, s’il y’a des difficultés, licencier au sein de sa filiale française, même si la situation financière du groupe n’est pas en danger.
Un des arguments les plus importants que met souvent en avant les salariés licenciés pour contester un tel licenciement risque de ne plus avoir d’effet à l’avenir. En effet, les salariés licenciés par une filiale française d’une multinationale pouvaient, pour empêcher le licenciement économique, mettre en avant que le motif économique ne soit pas caractérisé au niveau mondial.
Donc, lorsqu’une société française qui licencie subi des pertes importantes, mais que la succursale danoise ou la filiale brésilienne réalise des bénéfices, le licenciement opéré en France n’est pas justifié et ouvre droit à des dommages et intérêts.
Dorénavant, cela ne sera guère possible, l’appréciation du motif économique se basant uniquement selon un périmètre national, les difficultés seront appréciées uniquement à ce niveau-là.
B) Les offres de reclassement : des salariés perdus ?
1) Un reclassement interne dévolu aux salariés
Avant la réforme, le Code du travail disposait clairement que, un licenciement pour motif économique n’est possible que si tous les efforts de formation et d’adaptation ont été fait et ont échoués (article L.1233-4 Code du travail).
L’employeur doit s’assurer à ce que ses salariés puissent être adaptés à leur poste de travail. Il doit veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard, de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations (article L.6321-1 du Code du travail)
Le motif économique donc ne suffit pas à justifier le licenciement.
Le salarié sera licencié uniquement si son reclassement est impossible, obligation qui pèse sur l’employeur. L’employeur doit chercher à le reclasser :
- Il doit le faire sur un emploi de la même catégorie que celui qu’il occupe,
- Si cela venait à ne pouvoir se faire, il peut le faire sur un emploi équivalent avec d’une rémunération équivalente ;
- A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, il pourra le reclasser à un emploi d’une catégorie inférieure (article L.1233-4 du Code du travail).
Il faut préciser que, l’employeur doit reclasser au sein de toute l’entreprise et non dans l’établissement où se déroule le projet de licenciement.
Donc, les possibilités de reclassement doivent se faire dans les différents établissements de l’entreprise. Le licenciement ici ne sera pas jugé comme économique (Cass. soc. 16 mars 1994, n° 92–44917).
Par conséquent, il faudra penser à reclasser le salarié dans les entreprises du groupe situées à l’étranger. En effet, dès que la législation qui s’applique dans l’état étranger n’empêche pas l’emploi de salariés étrangers, le reclassement à l’étranger est possible.
Une convention collective peut aussi imposer à l’employeur de rechercher des possibilités de reclassement à l’extérieur de l’entreprise.
Depuis la réforme, les salariés vont devoir s’adapter aux nouvelles mœurs en vigueur en matière de reclassement.
Il faut savoir que, jusqu’à la réforme, les offres de reclassement devaient être précises et écrites. L’ordonnance prévoit d’assouplir la procédure : les offres de reclassement ne seront plus obligatoirement écrites.
Elles seront soit adressées directement par écrit au salarié, soit, et c’est la nouveauté, être communiquées par tout moyen au salarié via une liste d’emplois possibles.
Les salariés auront aussi accès à des offres de reclassement internes avec une liste d’offres accessibles sur l’intranet de l’entreprise.
Il n y’a donc plus d’obligation de proposer des offres de reclassement personnalisées aux salariés.
En effet, communiquer via internet une liste d’offres ouverte à tous les salariés ne rend plus l’offre de reclassement personnalisée.
2) Le reclassement à l’étranger : un employeur déresponsabilisé
L’article L.1233-4-1 du Code du travail est abrogé : l’employeur n’a plus aucune obligation de recherche de reclassement du salarié à l’étranger.
Cet article permettait qu’il y’ait – lorsqu’un licenciement est envisagé – la possibilité de demander à son employeur de recevoir des offres de reclassement dans des établissements en dehors du territoire national.
Malgré l’abrogation, l’obligation de reclassement en dehors du périmètre national et le reclassement ne sont pas supprimées pour autant.
En vérité, la conséquence de cette abrogation est que, le non-respect par l’employeur de son obligation générale de reclassement en dehors du périmètre national ne remet plus en cause le licenciement économique.
La procédure actuelle pose une charge importante pour les entreprises.
Dans la pratique, cela risque de toucher la sécurité juridique des licenciements lorsque l’employeur réalise un défaut d’information : le salarié est le seul à pouvoir déclencher l’obligation de reclassement de l’employeur à l’étranger.
Les salariés peuvent donc ignorer une telle obligation qui pèse sur eux, ne pensant pas vraiment à leur reclassement à l’étranger.
L’employabilité des salaries sera touché par cette réforme. Les entreprises ont donc une responsabilité assez importante pour favoriser l’employabilité des salariés en raison d’une gestion plus fluide des licenciements et du reclassement que la loi promeut.
II) La rupture conventionnelle collective : un licenciement collectif masqué ?
Par principe, une rupture conventionnelle ne peut qu’être individuelle.
La loi travail instaure une nouveauté qu’est la rupture conventionnelle collective.
Le gouvernement entend ainsi donner à toutes les entreprises, peu importe leurs tailles, un cadre juridique unique de départ strictement volontaire, tout en favorisant la négociation entre les acteurs. Bien évidemment, comme lors d’une rupture conventionnelle individuelle, cela devra être homologué par l’administration.
A) Une procédure légalement encadrée
La procédure fonctionne ainsi : un employeur voulant recourir à ce dispositif doit remplir un dossier qui détaille divers éléments.
Il devra mentionner le nombre maximal de départs, de suppressions d’emplois et la durée de mise en œuvre du plan.
Suite à cela, les conditions que doit satisfaire le salarié pour être visé par le plan devront aussi être écrites.
Il y’aura alors des critères de départage entre les potentiels candidats aux départs.
Les indemnités de rupture devront être ensuite calculées. Il convient de préciser que les modalités de calcul des indemnités de rupture versées au salarié ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement économique (comme dans le cas d’une rupture conventionnelle individuelle).
L’employeur précise alors les modalités de candidature au départ des salariés ainsi que les mesures destinées à favoriser le reclassement des salariés.
La procédure se conclue par la mise en place des modalités de suivi de la mise en œuvre du plan.
L’employeur devra ainsi transmettre la demande à l’administration du travail, qui peut valider ou non la demande. L’administration aura un délai de 15 jours pour donner sa réponse.
Il ne sera pas possible d’utiliser la rupture conventionnelle collective pour se séparer de salariés seniors. Le gouvernement veille à ce que cette mesure n’aide pas à licencier un salarié en raison de son âge, ce qui constitue une discrimination.
B) La rupture conventionnelle collective : un nouveau plan de départs volontaires ?
1) Quelles pertes pour les salariés ?
Les institutions du droit du travail contrôlent de manière réduite le licenciement pour motif économique. Les institutions représentatives du personnel contrôlent toute la procédure : de la notification du projet à l’effectivité des licenciements.
Le souci de cette réforme est qu’elle prive les salariés de nombreux avantages qu’offrait un plan de départ volontaire, un GPEC ou un PSE
Ils perdent la possibilité de bénéficier d’un contrat de sécurisation professionnelle, qui aide notamment au suivi intensif des salariés pour le retour à l’emploi.
Cette rupture conventionnelle permet aussi à l’employeur d’embaucher à nouveau dans la foulée de la rupture du contrat de travail. Le plan de départ volontaire l’en empêchait pendant une année entière.
2) La fin des PSE et GPEC ?
Une autre crainte importante : un tel dispositif permettrait de contourner un PSE ou un GPEC. En effet, on ne peut rompre par rupture conventionnelle des contrats de travail avec de tels dispositifs.
En effet, ces dispositifs incombent à l’employeur de remplir des obligations, tel que des propositions de reclassement ou des actions de formation.
Quelles conséquences pour les salariés ?
Tous les frais et la mise en place des mesures d’accompagnement social seront gérer dorénavant par la collectivité publique. On vise ici notamment le soutien psychologique, les aides à la création d’entreprise ainsi que les aides au reclassement. L’employeur est ainsi déresponsabilisé, le salarié devant œuvrer à son employabilité seul.
Autre conséquence qui vise cette fois-ci les salariés séniors, probable premières victimes du dispositif. Certes, la loi interdit la possibilité d’user de de la rupture conventionnelle collective à l’égard des salariés séniors, mais la crainte reste palpable.
Les salariés restant risquent d’être freinés dans la volonté de rebondir et de s’insérer sur le long terme au sein de leur entreprise suite à ce type d’événements. L’impact psychologique d’une telle mesure n’est pas à négliger. En effet, l’employeur pourrait à l’avenir leur proposer cela.
Bien évidemment, une des autres craintes repose sur la possibilité de mettre de côté les partenaires sociaux et l’administration du travail dans la mise en place et le suivi des plans de rupture conventionnelle collective. En effet, Les partenaires sociaux sont présents lors des discussions portant sur aux licenciements collectifs (au cours d‘un GPEC et d’un PSE).
Le gouvernement entend, via la rupture conventionnelle collective, simplifier et sécuriser le cadre juridique. Dans cette optique, son rôle est d’aider à responsabiliser les élus lors des négociations collectives en matière de gestion des effectifs.
Conclusion : La plus grande crainte qui peut être observé à propos de la réforme repose sur l’idée que, les modifications législatives créeront un nouveau mode de gestion prévisionnelle des emplois au sein des entreprises.
L’encadrement du dispositif se devra d’être ferme : fluidité et sécurité comme le prône Emmanuel Macron.
Les entreprises auront une responsabilité conséquente : elles se devront d’assurer le coût et favoriser l’employabilité des salariés partant, ainsi que surtout soutenir les salariés restants. La réforme du marché du travail n’est pas encore terminée, elle ne fait que débuter en vérité