Need for leads : quand les grandes écoles s’inspirent de l’entreprise
Les grandes écoles sont-elles en train de devenir des entreprises comme les autres ? Du point de vue de la gestion des talents, il semblerait que leur autonomie croissante les y pousse à vitesse grand V. Peut-on, sans volonté de choquer, dire que leurs étudiants sont aussi devenus leurs clients ? Il faut avouer que lorsqu’on parle « d’expérience étudiant », empruntant au marketing un concept bien connu, le raccourci est tentant… Dans les faits, la compétition globale qui s’incarne dans les logiques de classements nationaux et internationaux, reflétant des enjeux économiques importants, fait du recrutement (et de la formation) de ces « cliétudiants » le défi de ces organisations. Ainsi, pour attirer et recruter les meilleurs talents, les grandes écoles adoptent les mêmes stratégies que les entreprises. Un modèle a vécu, un autre le remplace : sic transit gloria studii…
Les mots et les choses
Le jargon utilisé, apparemment de plus en plus assumé, est particulièrement signifiant : il traduit clairement une volonté d’emprunter au monde de l’entreprise ses usages et ses process, en même temps qu’une volonté d’efficacité. Ainsi le responsable des Admissions est-il devenu Directeur commercial : il ne cherche plus à attirer des étudiants, mais des « leads ». Il compte d’ailleurs sur le responsable marketing pour l’y aider, aussi appelé International Marketing Manager pour mieux se situer dans l’arène mondialisée. Rayonner bien au-delà de ses propres frontières est en effet devenu une nécessité pour les grandes écoles et certaines universités qui, à l’instar des écoles de commerce post-prépa, sont de plus en plus autonomes sur le plan de leur gestion.
Ces changements de titres et de noms ne sont pas les seuls signes de l’évolution d’un secteur qu’on disait naguère « non marchand ». Ce que vendent ces établissements aujourd’hui, c’est leur propre réputation en même temps que la qualité des formations dispensées, c’est une promesse d’employabilité, c’est du service. On ne s’étonnera donc pas du déploiement d’un vocabulaire financier, hier encore réservé au monde de l’entreprise : « chiffre d’affaires », « plan d’investissement » et « marge opérationnelle » font désormais partie du langage admis dans les conseils d’administration des grandes écoles. Et puisqu’il s’agit de service, on ne s’étonnera pas non plus que la satisfaction des étudiants soit devenue l’objet d’une attention toute particulière ; certaines écoles se sont dotées à cette fin de logiciels comme Salesforce, utilisés par les entreprises pour gérer la relation client. La mention des CRM n’est pas innocente – leur utilisation non plus – : l’idée de client/étudiant n’en est que plus frappante.
Nouveaux enjeux, nouveaux modèles
Cela dit, notre propos n’est pas de juger : les écoles empruntent leurs outils où elles le peuvent, et il paraît logique qu’elles appliquent à leur public des méthodes éprouvées. De plus, l’intérêt est commun : les étudiants profitent d’une formation qui s’inquiète non seulement de son contenu mais aussi de ses conditions. Il s’agit bien de concilier une exigence académique et une qualité de service telles que l’ « expérience étudiant » qui en découle soit force de recommandation pour ceux qui en sont à choisir leur école, c’est-à-dire, pour beaucoup, où investir leurs espoirs (et leur argent !). L’autonomie croissante appelle forcément, nous l’avons vu, des questions de rentabilité, d’équilibre. C’est pourquoi des programmes hyper attractifs sont lancés urbi et orbi à grand renfort de publicité : des opérations de séduction massive qui ont notamment pour but d’attirer les étudiants étrangers qui en ont les moyens (chinois, marocains, américains, indiens…).
À chaque établissement son objectif selon son histoire, son aura, ses réseaux ; il s’agit de tenir son rang ou d’intégrer l’échiquier des écoles qui comptent. Car la logique des classements reflète une logique économique : une manne pour les premiers de la classe, de réelles difficultés en bas de tableau… Pour être compétitifs, donc, de nouvelles pratiques s’imposent, notamment en termes de recrutement, de visibilité et d’attractivité. Si les écoles investissent pour optimiser leur image, c’est bien dans l’idée d’attirer les meilleurs étudiants, valorisant ainsi les formations proposées. Les grandes entreprises qui travaillent avec ces écoles savent où trouver leurs futures forces vives ; de leur côté, les étudiants n’ont pas à se soucier de leur avenir professionnel. La question de l’employabilité compte en effet pour beaucoup dans le choix de son établissement, de son investissement. À titre d’exemple, seuls 11,6% des diplômés d’HEC Paris en 2016 étaient encore à la recherche d’un emploi six mois après leur sortie de l’école (le coût moyen par année d’étude est de 14667€, d’après Diplomeo).
Recruter autrement
Dans cette compétition à grande échelle, le recrutement des étudiants est un enjeu trop important pour être abandonné à la seule réputation de l’établissement. C’est pourquoi les écoles empruntent aussi à l’entreprise certaines méthodes innovantes, comme le recrutement vidéo, dont le premier avantage est d’abolir le problème de la distance et des fuseaux horaires pour les étudiants étrangers (grâce à l’entretien vidéo différé). De la même façon, et pour les mêmes raisons, les tests linguistiques en ligne remplacent les différentes certifications à la validité parfois douteuse. Simplifier les processus de candidature et d’admission n’est plus une option, mais une nécessité à l’heure du tout numérique, d’autant plus que les candidats sont à présent aussi volages que mobile first. Les process se digitalisent pour des questions de budget et d’efficacité, mais aussi d’attractivité. Pour gagner sa place au soleil des classements mondiaux (type Shangaï ou Times Higher Education), il paraît désormais indispensable de parler aux étudiants un langage qui leur est familier, celui des réseaux, de la mobilité et de la transparence. Il s’agit de faire du recrutement une expérience à part entière, qui les engage, mais aussi les conforte dans l’idée qu’ils ont fait le bon choix.
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