Bien être / QVT

Vers du greenwashing version RH ?

Alors que la 14ème semaine de la QVT se tiendra en octobre prochain, il paraît pertinent de se pencher sur ce qui se cache derrière la notion de « Qualité de vie au travail ». Que revêt-elle vraiment ? Quels sont les réelles motivations des entreprises à mettre en place une politique en faveur de la QVT ? Enfin, quels sont les vrais besoins des salariés ?

Les entreprises se voient aujourd’hui contraintes de se saisir de cette thématique par la loi qui les oblige à intégrer la qualité de vie au travail dans les négociations annuelles obligatoires, à travers l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 intitulé « vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle ».
Cependant, cet ANI ne peut concrètement agir à la place du chef d’entreprise qui doit prendre ses responsabilités notamment en matière de risques psychosociaux. Cet accord n’a pas non plus pour vocation ‘de se substituer au respect des droits fondamentaux existants pour les salariés dans chacun des domaines concernés’.

Il se limite à dresser une liste non-exhaustive de 10 thématiques de fond qui doivent être abordées lors de la négociation :

  • « la qualité de l’engagement de tous à tous les niveaux de l’entreprise ;
  • la qualité de l’information partagée au sein de l’entreprise ;
  • la qualité des relations de travail ;
  • la qualité des relations sociales, construites sur un dialogue social actif ;
  • la qualité des modalités de mise en œuvre de l’organisation du travail ;
  • la qualité du contenu du travail ;
  • la qualité de l’environnement physique ;
  • la possibilité de réalisation et de développement personnels ;
  • la possibilité de concilier vie professionnelle et vie personnelle ;
  • le respect de l’égalité professionnelle. » (extrait de l’Accord National Interprofessionnel du 10 juin 2013).

 

Parmi les principaux défis de l’entreprise, la question du bien-être au travail est primordiale pour lui permettre d’être performante. Un taux de productivité des salariés en hausse corrélé à une baisse du taux d’absentéisme peut traduire des indicateurs de bien-être au travail au vert. Un lien peut aussi s’établir entre satisfaction des salariés et performance de l’entreprise. Cependant, pour arriver à ces réalités et cela de manière durable, il ne faut pas que les actions engagées ne restent qu’en surface. Les salariés ne sont pas dupes et ne s’arrêtent pas à la belle salade de fruits bio proposée gracieusement tous les midis à la cantine, si le reste de l’entreprise va à la dérive. Entendons par le « reste » : le type de management, l’éthique, la stratégie et la culture de l’entreprise. Il faut donc traiter les causes du mal-être professionnel, cela préventivement, au lieu de se contenter de soigner les symptômes. Il n’est pas non plus judicieux de planter des fleurs sur un terreau qui n’est pas sain !

La super cantine gratuite sera donc à coup sûr sans effet si le dirigeant de l’entreprise ne connait même pas les prénoms de ses 30 salariés. Dans son livre intitulé « Bienvenue dans le nouveau monde – Comment j’ai survécu à la coolitude des start-ups», paru en 2017, Mathilde RAMADIER évoque son expérience en ces termes : « j’avais l’impression que tout le monde portait des lunettes roses ». En somme, c’est le vernis qui a changé, pas les méthodes de management, peut-être encore plus dures et cruelles que celles connues jusqu’alors.

En effet, ce n’est pas parce que l’on va renommer le Directeur des Ressources Humaines, « Directeur du bonheur au travail » ou obtenir des certifications telles que la fameuse et en vogue « Great Place to Work » (d’ailleurs, pour la grande majorité, payantes), qu’il fait forcément bon vivre en interne.

Les salariés n’attendent pas des babyfoots ou des sièges massants pour être ‘simplement’ bien au travail. Rodolphe, ancien salarié sous pression, devenu consultant indépendant, voit comme résultat d’une réelle politique QVT efficace et pertinente le fait de « ne pas avoir ‘la boule au ventre’ le matin en allant travailler, de ne pas penser au boulot le soir, la nuit, le week-end ». Il rajoute que tout le monde n’est pas à la recherche d’entreprise « fun » et dans le « vent » avec des crèches d’entreprise, des salles de jeu ou des cours de yoga. Les gens recherchent selon lui, l’absence d’une pression infernale qui anéantit les salariés au bout du compte. Le reste doit rester du bonus mais ne doit pas remplacer ce que l’on pourrait appeler « l’essentiel ».

Lorsque Linkedin publie une étude sur les tendances du recrutement en France en 2016, on y apprend que les candidats sont avant tout attentifs à la culture et aux valeurs de l’entreprise (72%), au contenu des missions et aux possibilités d’évolutions (70%). Les salariés n’évoquent à aucun moment le besoin absolu de voir une salle de sport dans leur future entreprise !

La QVT doit revêtir un champ plus large de préoccupations et prendre en compte des signaux d’alarmes tels que les risques psychosociaux présents en interne ou la pénibilité (même psychologique) de certains métiers.

Avec les réseaux sociaux, il est facile de communiquer en externe pour véhiculer une image cool de l’entreprise. Beaucoup d’entreprises font le pari de cette image façonnée, parfois en mode ‘filtre instagram’ :  « venez nous rejoindre, nous sommes funs et nous avons une super cantine ! ». Elles oublient cependant de mentionner qu’il faudra aussi travailler 60 heures par semaine pour être bien vu et que la pression est telle que les salariés peuvent être au bord de la dépression ; à l’image de certaines startups où tout parait super : de l’agilité et de la réactivité à tout va, pas de hiérarchie, pas vraiment d’horaires de travail mais de grands open spaces pour travailler tous ensemble.

 

Emmanuel Macron souhaite donner la primauté, pour organiser le temps de travail, aux accords majoritaires conclus dans les entreprises. Cette réforme pourrait être intéressante dans la mesure où il est essentiel de répondre aux besoins de flexibilité des entreprises.  Mais attention tout de même à quelques effets pervers ! Moins on encadre officiellement le travail, moins les règles sur le temps de travail sont en réalité respectées par l’entreprise (même si elles sont déjà actuellement peu suivies, notamment à cause de leur manque de flexibilité). Le second problème qui pourrait apparaître est la création d’une différence de traitement entre les salariés de petites structures, où les collaborateurs n’oseront pas forcément demander la création de négociation en matière d’organisation du temps de travail, et les grosses entreprises avec des accords avantageux, négociés et défendus par des organisations syndicales puissantes.

En outre, la QVT doit découler d’une stratégie en matière de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) plus globale. En octobre 2015, MINDDED, Ekodev et leurs partenaires avaient publié une étude sur la manière dont les salariés percevaient la RSE. De cette étude est ressorti le besoin de voir apparaître sur la table des négociations des sujets de fond : 83% des interrogés citent les relations et les conditions de travail parmi les thématiques qu’ils aimeraient le plus voir se développer dans leur entreprise. Les droits de l’Homme et la gouvernance sont cités par respectivement 55% et 54% des salariés. Viennent ensuite loin derrière l’environnement de travail en lui-même (38%).

Nous pouvons ici nous interroger sur la capacité des entreprises à dépasser le stade du « Socialwashing » et leurs démarches gadgets (pour améliorer leur capital sympathie) sans pour autant avoir le courage de réformer en profondeur les choses en interne. A force de répéter que les entreprises doivent communiquer sur leur pseudo coolitude, il arrive un stade où l’on rabâche des messages préconçus, sans réel fond. Certaines entreprises confondent interactions sociales et publicité (mensongère).

Enfin, lorsque l’on donne la parole à des salariés sur les réseaux sociaux concernant l’image qu’ils se font de la QVT et du bien-être au travail, beaucoup rappellent le besoin d’avoir ce fameux terreau constitué d’éléments tels que les valeurs et la culture de l’entreprise, la capacité à prendre part aux décisions de cette dernière, la possibilité de s’exprimer, de se sentir réellement à l’aise à leur poste de travail et d’avoir une charge de travail en cohérence avec leurs capacités.

Personne n’évoque cependant le fait que l’entreprise a le devoir de rendre « heureux » les salariés. D’ailleurs, est-ce vraiment de la responsabilité de l’entreprise de rendre heureux ses collaborateurs ? Ne doit-elle pas « simplement » leur offrir les meilleures conditions de travail possibles ?

Anne-Sophie Bérard
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Anne-Sophie Bérard

Après un parcours académique en école de commerce puis une spécialisation en ressources Humaines au sein de l'IGS-RH, Anne-Sophie a choisi sa voie : celle du conseil aux entreprises. Ce qu'elle apprécie le plus dans son métier c'est de le raconter aux travers d'articles. Issue de la génération Y, elle partage son quotidien, ses expériences, ses interactions sociales et ses bonnes pratiques. Elle souhaite faire partager ses interrogations sur le monde de l’entreprise, avec un oeil qu'elle veut aussi pragmatique que nouveau.